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Le harcèlement à l’école : ses tragédies, et ses causes

Le harcèlement et ses tragédies ne sont que les ultimes conséquences de l’incapacité de l’école française à gérer les relations au sein de ses établissements.

Les personnels sont enfermés dans des discours phagocytés par leurs statuts, de sorte que les réponses à ce problème sont stéréotypées. Le suivi du jeune Nicolas aurait été traité de la même manière par un quelconque autre proviseur et peu importe le lieu, puisque ce sont les statuts de chacun qui « parlent », et non des approches finement individualisées qui gouvernent l’action !

Si celles-ci étaient valorisées par la hiérarchie, alors la prise d’initiative et la prise de risque de tout responsable aurait permis de prononcer – dès les premiers symptômes – une courte mesure conservatoire à l’encontre des harceleurs présumés et même si ce choix s’avérait une fausse piste in fine.

Une mesure visible, donc un premier signal clair, aurait été adressée aux protagonistes et à leurs familles, plutôt que courriers et rencontres qui ne soient que les seuls marqueurs du processus.

Affiche officielle de lutte contre le harcèlement scolaire.

Ces cadres courent après les responsabilités mais en se gardant bien d’apparaître comme responsables d’une quelconque action, action qui ne serait pas dans le catalogue des réponses !

C’est le règne de la réponse timorée.

Mais diriger, c’est choisir, s’engager et prendre des risques ; le statut et le salaire devraient en être les contreparties ! Ce n’est pas le cas manifestement.

Par ailleurs, ni dans son identité, ni dans ses formations, l’École française n’est capable de gérer les relations scolaires et plus généralement le savoir-être du vivre-ensemble. Face au malaise non traité qui conduit tout naturellement aux tragédies, les seules réponses sont un ministre qui se hausse du col, ou bien les affiches à slogan ou encore des campagnes moralisatrices qui jalonnent les semaines de cours, et qui polluent les quotidiens de tous. On se donne enfin bonne conscience en faisant intervenir telle ou telle association pour solde de tout compte.

Mais le harcèlement, c’est un enjeu de tolérance, c’est-à-dire de l’acceptation des différences. Cette posture ne se décrète pas en quelques clics ou en quelques circulaires circonstanciées. C’est le fameux « vivre-ensemble » dont la réalisation concrète suppose des espaces partagés de collaboration, alors qu’élèves, parents, professeurs et direction s’épient les uns les autres « en attendant au coin du bois » l’erreur du voisin.

Rencontres et espaces de concertation pipés, assemblées sans pouvoir décisionnel, représentants élus transformés en marionnettes, voilà si j’ose dire l’anti-lien ! L’absence de sens collectif laisse le champ libre à tout type d’exacerbation, à commencer par celui des adolescents qui ne trouvent leur place qu’auprès de leurs écrans. Comment les jeunes ne seraient-ils pas sensibles à ce climat de défiance où le mot collaboration s’érige en un grotesque faux-semblant, totalement paradoxal.

Quant au mot « respect », pourquoi les adultes se réclameraient-ils de ce concept, alors qu’ils en sont les premiers fossoyeurs ! L’acquisition du savoir-être auprès d’un groupe ne repose que sur des situations éprouvées par les participants, avec comme grammaire d’apprentissage à autrui, l’expérience in situ : pas de « bla-bla ! Je vais accepter l’autre parce que je partage avec lui une expérience sensible, émotionnelle et concrète qui sollicite nos chairs réciproques et plus seulement nos capacités cognitives, celles de ce fameux bla-bla des adultes.

À l’école française, de s’inventer à nouveau, pour faire se réaliser ce vivre-ensemble et non plus le déclamer comme un aveu d’impuissance inavouée. Pourquoi ne pas redéployer les classes de découverte d’une durée de 3 semaines qui permettraient aux élèves de s’éprouver grâce à une vie quotidienne partagée au long cours, comme cela se vivait dans les fameuses colos d’antan. Il en va de même pour les voyages scolaires effectués en fin juin, au lieu de les faire plus tôt dans l’année scolaire, et qui ne sont devenus que des promenades consommatrices et de courte durée.

Contrairement à leurs aînés qui encadraient les colonies de vacances, les enseignants d’aujourd’hui sont ignorants de ce qu’est le vivre-ensemble puisqu’ils ne l’ont pas vécu eux-mêmes. Ils découvriraient alors un tout autre canal de légitimité auprès de leurs élèves.

Pour illustrer et au fond pour résumer, n’a-t-on jamais entendu, ici ou là, des gens tenir des propos contre les homos, les gros, les noirs, les arabes…, et, en même temps dire, « avec toi, c’est pas pareil, parce que toi, j’te connais » !

Les suicides ont un coût !

Gilles Déka, le 20 septembre 2023, auteur de Pourquoi l’Ecole va-t-elle si mal ?

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