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Le film « Pas de vagues », c’est cette fois le « Pas de vagues » chez les profs !

Le film est d’une authenticité flamboyante. Inspiré d’une histoire personnelle, ce long métrage pourrait être un documentaire, tellement le réalisme y est omniprésent dans les moindres détails.

Après avoir vécu le « Pas de vagues » sous les années Blanquer, plutôt centré sur le comportement des cadres, il s’agit dans le film de mettre à nu cette fois, un tout autre « Pas de vagues » tout aussi subtil et rampant, celui des profs et de leur comportement plutôt inattendu !

Rien de neuf, en revanche, quant au comportement des élèves de ce collège de banlieue défavorisée. Toutes les misères, matérielles comme intellectuelles, y sont nourries par les réseaux sociaux pour alimenter les rumeurs en guise de relations. Pas de clichés, mais des détails saisissants de véracité, qui laissent transpirer l’abandon des élèves par leurs familles, mais aussi par l’École.

En effet, ce sont bien des professeurs dont il s’agit, autour d’un fil narratif relatant une rumeur visant l’un des leurs.

Ce professeur est exigeant, il étudie Ronsard, et au fond, il cherche du sens à son métier dont l’objectif est bien l’émancipation de chacun, quelque soit ses origines. Il y expérimente des méthodes plutôt personnelles, qui mélangent les genres, et qui ne conviennent pas à ces élèves-là. Ceux-ci sont en recherche de cadres conventionnels, mais les mélanges « fonction-personne » certes maladroits et inappropriés dudit professeur sont désapprouvés, sans nuances, par ses collègues. Peut-être ont-ils raison sur le fond, mais sûrement pas quant à leur posture à l’égard de leur pair.

A défaut d’une stratégie pédagogique collective, notre héros se replie sur lui-même, construit le sens de son métier en nourrissant son ego malheureusement à bon compte. Il rêve avec autant de naïveté que de fatuité, incarner une espérance pour ses élèves, comme pour prétendre leur « changer la vie » ! Voilà une réflexion relative à la place du charisme dans un acte d’enseignement !

Soit.
Mais en fait, il s’agit pour ses collègues de tisser un argumentaire d’alibis pour s’affranchir de tout engagement. Personne n’y croit plus et les renoncements s’accumulent. Le niveau des élèves est catastrophique, mais personne n’ose le formuler, ou bien alors le fait en notant un 2/20 à une copie affublée d’un commentaire hypocrite (sous couvert d’une démarche de valorisation) « en dessous de ses capacités », le signe même du non-positionnement des enseignants ! Par manque de courage, aucun n’affronte la « vraie » réalité, pas celle que la salle des professeurs se fabrique par corporatisme tel que le formule d’ailleurs subrepticement un enseignant.

Les règles sont transgressées à longueur de journée. Ainsi va la vie du collège entre routines et discours maquillés en actions ! Désabusement, renoncements, peurs ou hypocrisie de chaque catégorie de personnels, tout se confond pour atteindre in fine un point… d’immobilisme.

C’est si j’ose dire grâce à ce dont est victime le professeur, héros malgré lui de l’intrigue, que se révèle une sorte d’identité cachée du corps professoral, traversée par de trop nombreux paradoxes :

– un engagement qui n’en est pas un,

– une solidarité très partiale, et des luttes de pouvoir qui ne disent pas leurs noms,

– à tout cela s’ajoute la relation viciée à la hiérarchie, autant sollicitée que rejetée, et à qui on finirait presque par pardonner son propre « Pas de vagues ». Se taire, voire ne pas transmettre des documents pour préserver sa propre image et ses chances de mutations, voilà résumée par le héros du film, l’attitude du Chef d’établissement. Pas de décisions, que du discours qui ne suffit évidemment pas à protéger, y compris physiquement, le professeur incriminé par une rumeur grandissante, et qui envahit peu à peu l’ensemble du collège.

Au fond, les élèves n’intéressent réellement personne, et le sens au métier semble éteint.

Ce film démontre, si besoin était, que les conditions pour une transformation en profondeur de notre système éducatif sont loin d’être réunies.

Avant d’enfourcher ou de combattre les groupes de niveau voire de s’attacher ou non à un nouveau slogan, celui du « choc des savoirs », il s’agit préalablement de s’atteler au choc des comportements.

Les professeurs ont-ils été réduits au rang d’exécutants, s’y seraient-ils résignés, ou bien restent-ils des concepteurs et des artisans de l’émancipation d’une société affadie et pour tout dire appauvrie ?

Gilles DEKA, auteur de « Pourquoi l’Ecole va t elle si mal ? », éditions La Guillotine, Terres-de-Haute-Charente, 2023.

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