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Gilles Déka : « En faisant de tout, l’École ne fait plus rien ! »

Face aux résultats PISA, il y a péril en la demeure pour les ministres et leurs cadres supérieurs. Alors, au risque de s’attaquer, en interne, aux racines profondes de la dégringolade – leur fonctionnement, en fait – on préfère s’attaquer, en externe, à toutes sortes d’alibis et de prétextes.

Les cadres de l’éducation nationale se défaussent sur leurs bouc-émissaires, et déploient leurs sparadraps.

Voilà la machine à « comm’ » en route, pour désigner ses bouc-émissaires et présenter des remèdes (naturellement ceux qui plaisent « sondagiquement » parlant) à défaut de stratégies sur les moyens et longs termes tel que l’incarna le plan Langevin-Wallon par exemple, et sa mise en œuvre, à terme, par le ministre Haby.

Un énième épisode par conséquent !

Au détour d’un changement de ministre, voilà le fameux serpent de mer de l’absentéisme des enseignants du public qui est reversé à la vindicte populaire. De façon subliminale, on en comprend le sens et le message véhiculé « en creux » quant à la qualité des deux principaux supports de l’enseignement français.

De façon tout aussi pernicieuse, on relève dans PISA que le niveau de l’élite serait également abaissé ; les meilleurs élèves s’ennuieraient en classe au point d’affadir leurs motivations donc leur niveau scolaire par voie de conséquences.

Ainsi la création des groupes de niveaux se trouve justifiée de tous les côtés de l’échiquier. L’entre-soi et pour ne pas dire les clivages se trouvent légitimés, nonobstant l’inefficacité du dispositif relayé par les scientifiques de tout bord depuis de nombreuses années. Seuls les groupes hétérogènes font progresser les individus qui les composent.

L’absence d’identité scolaire ou de sentiment d’appartenance sont également suggérées pour expliquer indirectement les mauvais résultats. Les rituels sont convoqués, avec l’apparition de « l’uniforme » ou la « tenue commune » comme mesure phare. Si les différences vestimentaires seront gommées, postures, langages et savoirs ne pourront pas être dissimulés. En outre, la cérémonie de remise des diplômes affichera les réussites, mais aussi les échecs au grand jour et en contrepoint. A défaut de stratégie qualitative, les décideurs réinstallent les méthodes du passé, alors que les enjeux de socialisation de la jeunesse sont d’une tout autre nature. L’avenir semble maintenant loin de s’incarner dans une quelconque promesse collective.

La construction des appartenances et des habitus des adolescents s’élaborent bien ailleurs que dans ces dispositifs dont notre culture n’est d’ailleurs pas si friande, à l’opposé du monde anglo-saxon.

Suffit-il de modifier une vitrine pour leurrer sur le produit du magasin ?

Le renforcement de la culture de la laïcité est lui aussi convoqué. Mais je le répète, des affiches, des campagnes de sensibilisation, voire une heure de cours supplémentaires de suffiront pas. Les élèves ont besoin d’appréhender ces notions dans leur chair, pour les éprouver de façon vraie et authentique. Le vivre- ensemble se s’intellectualise pas : il se vit, et les organisations collectives de vacances l’ont démontré naguère ! Á titre d’exemple, quiconque n’a pas vécu le harcèlement ne peut raisonnablement pas en mesurer sa nature et l’ampleur de ses ravages.

En faisant de tout, l’École ne fait plus rien !

Ainsi, comme un relent supplémentaire du passé, voilà ces séjours collectifs revisités, cette fois, en SNU et le comble…. pendant le temps scolaire !
Est-ce d’une part devenu le rôle premier de l’École (avec les stages, les sorties les voyages, etc.) ? D’autre part, comment espérer des acquis humanistes et moraux auprès des jeunes, au travers d’une séquence à caractère contraint ? Comment déployer en collectivité une vie quotidienne authentique, alors que chacun sera observé pour partie par ceux-là mêmes qui évaluent les résultats scolaires ?

Si beaucoup de jeunes découvriront les « chambrées » ou dortoirs, ils verront malheureusement se succéder tout un panel d’associations qui viendront distribuer la « bonne parole ».

Au-delà, armée, police, pompiers, mairies et départements pour ne citer qu’eux vont voir défiler 700 000 jeunes chaque année. Est-ce cela, la clé de la citoyenneté ?
Ou bien, in fine, n’est-ce au fond que la réponse mièvre des politiques qui sont incapables de construire un sens collectif, un nouveau sens au « monde », bref, une réponse à la hauteur des enjeux écologiques et numériques de notre siècle.

Les lycéens ne seront qu’artificiellement acteurs de leurs émotions – seul outil capable d’agir sur les consciences – hormis la découverte de la vie en collectivité dont deux générations de parents ont bien pris soin de les en éloigner, pour les en protéger, parait-il : une ironie de l’Histoire !

Malgré les annonces, le théâtre ne sera pas que dans les salles de classes !

Tous ces gadgets opportunistes pourraient faire sourire si ce n’était la nature à venir de notre société, construite ou plutôt déconstruite par la « lessiveuse » de la rue de Grenelle.

Gilles Deka, auteur de Pourquoi l’Ecole va-t-elle si mal ?

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